MODS & ROCKERS - Qui sont-ils ?

Ecrit par Claude Speisser

Article Mod’s & Rockers paru dans Salut Les Copains d’août 1965. Cliquez sur les images pour agrandir et pouvoir lire le reportage.

L’Angleterre d’après-guerre va donner naissance et va voir apparaître différents mouvements parmi sa jeunesse.
C’est en 1953 précisément, dans l’est de Londres, que des gangs d’adolescents vont commencer à se faire connaître. On les appellera les Cosh Boys, mais la presse les rebaptisera Teddy Boys en rapport à leur reconnaissance au roi Edward VII (Ted étant le diminutif d’Edward).
Le rock américain ( Presley, Cochran, Gene Vincent, Jerry Lee Lewis, Buddy Holly, Chuck Berry, Little Richard etc…)
fait son apparition en Angleterre dans la 2ème moitié des 50’s et sera immédiatement adopté par les « Teds« . Les Teds, dont les rixes sont courantes, seront interdits d’entrer dans certaines villes comme à Wolverhampton ou à l’entrée de pubs, on pouvait lire : « No Children, No Dogs, No Teds ».

Teddy Boys dans les années 60

Mais ce rock’n’roll va captiver l’attention d’autres fans à cette même époque.Ce sont les Rockers.

Si une grande partie des jeunes motards anglais portait surtout les fameux Belstaff Trialmaster et Barbour type A7 International, tenue privilégiée portée par bon nombre de grands pilotes de tout terrain à l’époque, l’uniforme des «bad boys» américains va devenir incontournable :
Blouson de cuir, uniquement de fabrication nationale : Rivetts, Highwayman,Mascott, Lewis Leathers, etc.. mais pas de Schott US, quelques privilégiés arboraient des «Irvin Jacket» de l’aviation anglaise ou son homoloque le fameux B3 des pilotes de bombardiers US, glanés dans les surplus américains. 

 

Quelques jeans de production nationale mais surtout de simples pantalons.
Des chaussures basses pointues, des bottes style police anglaise ou les fameuses bottes fourrées de la RAF des surplus anglais d’après guerre. Les plus démunis se procuraient une paire de bottes en caoutchouc et lorsque l’on avait rabattu les chaussettes blanches par dessus, cela gommait les différences. Les bottes mexicaines (bout pointu et carré avec talon bizeauté) ou les bottes texanes (bout rond et talon normal) n’ont jamais été prisées par le monde motard hormis des cas isolés à partir des années 70 dans les milieux Bikers européens. Les bikers américains étant restés fidèles aux chaussures montantes style «rangers» et surtout à leurs superbes bottes en cuir gras, à bouts coqués et petite patte sanglée sur le dessus de la botte dont les 3 marques Chippewa, Carolina et Georgia se sont partagées le marché. Il ne fallait pas oublier la légendaire écharpe blanche des aviateurs anglais qui se distinguait des écharpes de l’US Air Force par des franges torsadées aux extrémités alors que sans franges ou très courtes pour l’aviation US.
Bien évidement, à l’époque on ne chevauchait que les motos de la production nationale : Norton, Triumph, BSA, Ariel, Matchless, AJS, Royal Enfield entre autres.
Ces Rockers avaient pour jeu de se tirer la bourre d’un coffee bar à un autre dont les plus célèbres étaient l’Ace Cafe, le Busy Bee, le Johnson’s, le Dugout, le Night in Gale…
De ces courses qui provoquaient une véritable hécatombe de morts chez ces jeunes, est né le terme « Cafe Racer« , car on coursifiait sa moto pour se rendre le plus rapidement possible d’un coffee bar à un autre. Ce n’était pas la consomation d’alcool qui en était la cause, mais bien la vitesse et l’inconscience. On ne buvait que du coca, du café ou du thé dans ces coffee bars qui n’avaient pas de licence d’alcool pour la plupart .
Différentes courses étaient organisées. Des courses à deux motos sur un tracé défini avec départ et arrivée à ce même coffee bar, des courses d’un coffee bar à un autre et le plus célèbre, celui de la pièce, ou plutôt du jeton. 
Cela se passait à l’Ace Cafe. Le prétendant mettait un jeton dans le jukebox, sortait du bar le plus rapidement possible et devait effectuer un trajet défini à l’avance tout en étant revenu avant que le disque ne soit terminé.
Il faut savoir que pour une question de législation la durée d’un enregistrement ne devait jamais dépasser   3 minutes et ce n’est que dans les années 60 qu’il n’y a plus eu de contrainte. Il est dit que le premier disque du jeu du jeton aurait été en 1964 « The House of The Rising Sun » des Animals, car c’était la première chanson de plus de 5 minutes qui permettait un plus grand trajet moto. D’autres sources citent « Summertime Blues » d’Eddie Cochran. Personne n’a la preuve concrète de l’une ou l’autre de ces versions.
Il existait, paraît-il, déjà en France dans les années 20 et 30 des courses entre jeunes motards qui coursifiaient déjà leurs motos.
D’autres encore plus suicidaires tentaient de rouler dans Londres pendant un court instant en partant de Chelsea Bridge à la vitesse du « Ton », qui équivaut à 100 miles, soit environ 160 km/heure, afin de pouvoir revendiquer le titre honorifique de « Ton-Up Boys« .

Les disparitions tragiques de tous ces jeunes qui faisaient la une de l’actualité en Angleterre sont venues aux oreilles d’un pasteur, Father Bill Shergold, qui roulait lui aussi en moto (BSA 125 Bantam puis Triumph), qui écoutait du Rock’n’roll et qui portait un grand manteau long marron avant d’opter rapidement pour le cuir (Lewis Leathers modèle Bronx). Il décide de les rencontrer afin d’essayer de les raisonner. C’est une réussite et devant l’ampleur de l’adhésion de ces jeunes motards il officialise en 1962 la section moto de ce
« FIFTYNINE CLUB »   qui n’était alors qu’un patronage créé en 1959 par le révérend John Oates.

C’est également au début des années 50, mais dans le quartier huppé de l’ouest de Londres qu’une frange de la jeunesse, qui elle écoute du Modern Jazz et attache une grande importance à leur tenue vestimentaire à la pointe de la mode, va donner naissance à un autre mouvement.
Mais il faudra attendre 1964 pour qu’ils développent un style de vie à part entière et se définissent eux-mêmes en tant que Mods (comme Modernist en opposition aux Rockers qu’ils trouvent ringuards et dépassés). 
Les Mods rejettent le Rock’n’Roll et s’identifient et adoptent dès 1962 tout ce qui est musique noire (Rythm and Blues, puis Soul et Tamla Motown). En 1964, une nouvelle orientation des Mods va se créer. Les plus adeptes de la « Black Music » considèrent que le vrai mouvement Mods a vu le jour en 1962 et s’est éteint en 1964 avec celui qui deviendra malgré tout le plus populaire et le plus connu et reconnu des quatres mouvements (fin 50, 1962, 1964 et le dernier en 1979).
En 1964, c’est donc une grande majorité qui se reconnaît dans certains groupes  du nouveau mouvement musical le « British Beat », dont les Rolling Stones (pionniers du British Blues) et les Beatles (pionniers du Mersey Beat) en étaient le fer de lance mais n’ont jamais été apparentés au mouvement Mods comme on peut le lire souvent par erreur. Les deux groupes phares des Mods étaient les Who et les Small Faces, avec dans leur lignée les Action, Creation, Artwoods, Fleur De Lys, Birds (groupe anglais de Ron Wood et non les Byrds américain) , etc. Les Kinks ont souvent été cités en tant que groupe Mods, mais eux s’en défendaient. Marc Feld (futur Marc Bolan leader du groupe T Rex) , Rod Stewart (membre des Steampacket ) et Davy Jones (futur David Bowie) revendiquaient d’avoir été les premiers Mods en 1964.

Reconnaissables à leur tenue tirée à quatre épingles, ils portent des vestes cintrées (françaises) taillées sur mesure, des chemises Ben Shermann, des polos Fred Perry, des chaussures pointues italienne ou des Clarks Desert Boots.   Ils optent aussi pour des pantalons tubes étroits et courts, mais également pour le jean serré qu’on enfilait mouillé pour être ajusté au corps et ce jean n’est autre que le mythique Levi’s 501 que les Mods sont les premiers à avoir popularisé en Angleterre. Leur coupe de cheveux, tout du moins au début du mouvement, sera inspirée de la mode française de l’époque avec la raie sur le côté, et sera baptisée par les Mods eux-mêmes la « French Line ».

Le Mods n’est représenté encore de nos jours qu’avec sa fameuse parka americaine de type M51 (modèle de la guerre de Corée en 1951 avec la bordure de la capuche en fourrure de loup) ou type M65 (avec une fourrure blanche synthétique suite à une nouvelle loi en 1965 sur la protection des loups), alors qu’en fait seuls les plus argentés en possédaient pour protéger leur costume en cas de pluie.

Pour les filles la tenue vestimentaire primait également avec jupes ou robes courtes (mais pas encore mini) et des pantalon étroits. On privilégiait les ballerines plates aux talons prononcés plus inconfortables pour danser. La coupe de cheveux la plus prisée était la frange avec coupe au carré sur le reste du visage.  Ce visage qu’il fallait représenter avec le teint le plus blanc et blafard possible… Il était incontournable chez les filles d’avoir un visage le plus clair possible en contraste avec un maquillage des yeux avec abondance de khôl .Ceci à l’image des premiers mannequins dont le plus célèbre, Twiggy, a lancé la mini- jupe, création de Mary Quant.

Il fallait également un moyen de locomotion aux Mods, et rejetant la moto, ils s’orientent vers le scooter plus adapté à leur style en les protégeant des intempéries. Leurs Vespa Piaggio (GS160) et Lambretta (LI Grand Prix) seront reconnaissables avec leurs équipements démesurés en terme d’accessoires, tels que les phares ou encore le nombre de rétroviseurs (de marque Stadium).  Cet abus de rétros n’était pas une recherche de style, mais une façon ironique de répondre au gouvernement qui venait de faire passer une loi imposant d’avoir au moins un rétro sur son scooter.
Mais ce mouvement Mods ne durera en fait que trois ans pour s’essoufler déjà fin 1966, les anciens s’orientant désormais vers un autre mouvement naissant, celui-ci aux Etats-Unis, le Flower Power et ses hippies. Un autre courant Mods apparaitra en 1979 avec les vagues Punk, Ska et Reggae, bien que le Ska et le Reaggae existaient déjà en 1966, mais sans aucun lien vestimentaire si ce n’est que le look conservé de leurs scooters.

Rockers à Brighton

Dans les années 60, leur opposition culturelle avec les Rockers est totale et amènera l’Angleterre à déplorer des affrontement et rixes parfois violents entre ces deux clans. Le plus célèbres de ces affrontements restera celui du lundi 18 mai 1964 dans la cité balnéaire de Brighton ou Mods et Rockers s’étaient donné rendez-vous pour en découdre, non s’en s’être déjà affrontés peu avant à quelques kilomètres de là à Clacton du 27 au 30 mars 1964. Si Mods et Rockers ne s’appréciaient pas, la réalité historique sur la décision de s’affronter ce 18 mai est pourtant bien différente de celle retenue depuis plus d’un demi-siècle.

En ce printemps 1964, des hordes de Mods à scooter étaient descendus sur Clacton et s’ennuyaient ferme d’autant que les tenanciers des coffee bars de la station les accueillaient avec réticence. La rumeur enfla que l’un de ces établissements refusait de servir les Mods. Un attroupement se forma, les esprits s’échauffèrent… Appelée en renfort, la police intervint pour disperser les fauteurs de trouble. Toute la meute s’égailla alors sur la plage en jouant au gendarme et au voleur avec les Bobbies. Mais de Rockers, point…. La rivalité entre les deux mouvements, les Mods du centre de Londres, élégants et raffinés, et les Rockers de la banlieue, francs et virils alimenta la chronique. La presse à scandale fit les gorges chaudes de ces escarmouches et titra “Les gangs à scooter déferlent sur Clacton”. Le résultat fut immédiat : de retour à Londres, les émeutes avaient été gonflées par le bouche-à-oreille et le week-end férié suivant, les Mods et Rockers déferlèrent réellement sur Clacton-on-Sea, mais aussi sur Margate, Brighton (on ne retiendra que ce nom), Bournemouth, Broadstairs, Hastings, prêts à en découdre, mais surtout à se créer des frissons à bon compte. Les Mods en plus grand nombre prendront le dessus devant une population effrayée et médusée et une police dépassée devant ces hordes de jeunes s’affrontant sur les plages et dans la ville.

Il faut savoir que paradoxalement les Rockers, bottés et vêtus de cuir n’étaient pas armés et pacifiques alors que les Mods vêtus des derniers vêtements à la mode étaient des adeptes du rasoir. Mods et Rockers ne consommaient pas d’alcool dans ces années 60. Les Mods ingurgitaient une quantité invraisemblable de café et étaient grand consommateurs d’amphétamines, de «pills»et autres «purple heart» qui étaient nécessaires pour tenir durant les deux nuits du week-end dans cinq à six boîtes de nuit différentes à danser jusqu’au petit matin jusqu’à la reprise du travail le lundi matin.
Les Rockers eux passaient leur temps sur leur moto ou devant un thé au son du rock’n’roll du jukebox de l’Ace Cafe ou autre Busy Bee ou Johnson’s cafe. 

Cette journée du 18 mai 1964 restera dans les mémoires, mais cette époque est révolue et désormais, anciens Mods et anciens Rockers se cotoient en se racontant mutuellement leurs souvenirs de cette époque et ce chaque année à Brighton lors du week-end de l’Ace Cafe Reunion organisé par Mark et Linda Wilsmore, les patrons de l’Ace Cafe London.